Pensées

Pensées

« Point n’est besoin de disposer de moyens matériels considérables, mais seulement avoir une ligne de conduite, une certaine rigueur, une volonté capable d’affronter tous les obstacles sur la voie que l’on s’est résolument tracée »
Professeur Hyacinthe Bastaraud

Sans cesse, nous effaçons des parcelles physiques de notre mémoire pour remplacer nos entrailles par des promesses que nous savons déjà qu’elles ne seront pas tenues. Nous agissons à l’image de notre cité et de nos bâtisseurs, nous rasons pour faire du neuf sans tenir compte de nos histoires, mais uniquement en voulant ressembler à ceux qui nous ont faits tels que nous sommes devenus, sans tenir compte de qui nous étions, pour créer une soi-disant « cohésion sociale ». Pourtant, on sait par expérience que le dur rend dur, que sans horizon l’esprit ne peut s’évader, que sans repère on finit par être désœuvré, mais nous sommes logés dans des unités caloges barricadées, juxtaposées, empilées, avec des barreaux ou des enclos pour notre sécurité et en face, on a encore la même chose et à côté aussi. Une sorte de lieu commun spatial où l’être et son étant se confondent dans le « Nous » sociétal sans forcément tenir compte du « Je » particulier autrement que dans l’illusoire. Il n’empêche qu’il va bien falloir que le « Je » se définisse, ou plutôt que le « Je » s’affirme ; parce que le « Je » s’est déjà défini, identifié par le « qui je suis ». Il nous faut maintenant nous affirmer dans le « ce que je suis ». Cette affirmation passe par une appropriation de l’Histoire, notre Histoire, nos histoires et non une réappropriation car cela voudrait dire qu’on la possédait un temps avant d’en être dépossédé. Comment faire, comment apprendre quand tout est fait pour nous en dissuader, en nous donnant quelques bouts de mémoires ; quand le système pense calmer notre soif, du moins la mienne, ce qui est loin d’être le cas parce qu’aucune commémoration ne nous rendra notre Histoire, ni ne nous parlera des histoires qui en découlent, tant que l’Histoire ne sera pas clairement dite, citée et écrite dans sa totalité.

C’est à ce moment-là que j’ai commencé à me pencher sur l’individu social et à travailler sur ses histoires. Comprendre le pourquoi de notre étant, et le comment de notre devenir. Dans mes œuvres jusqu’en 2008, qui avaient pour support notre Histoire et nos histoires, pour matière notre existence, et pour expression notre devenir, le but premier était de montrer que le problème n’était pas seulement d’être un individu de couleur (car nous sommes tous d’une couleur différente et c’est là, la richesse de la nature qui permet de se reconnaître dans nos différences, ou dans un système quelconque), mais aussi d’être un Individu social acteur dans le monde. J’aurais voulu parler à l’esclave, non pas celui de la traite, mais celui qui nous empêche de progresser, celui qui se plie, qui se rebelle en silence et baisse la tête en public et accepte, dans son cri, de suivre la minorité qui le dirige. J’aurais voulu parler à cet esclave pour lui dire qu’il faudra que nous nous construisions chaque jour, en se demandant ce que nous faisons pour glorifier le combat qu’ont mené des hommes et des femmes pour nous offrir cette liberté que nous avons aujourd’hui. Mais aussi et surtout, qu’il nous faudra construire de nous-mêmes à partir de nos héritages, car on ne peut plus laisser le temps au temps, ni prendre son temps. Il est plus que temps aujourd’hui de redéfinir, de s’engager et d’agir. Je cherchais alors à peindre ce temps, le temps de nos vies pour que nous nous regardions en face au travers de nos maux, nos espoirs, nos souffrances, nos joies, nous doutes, nos certitudes, nos délivrances et des paradoxes qui font sens dans nos sociétés où le temps est personnifié et se trouve parfois doté de volonté. On se retrouve souvent pris par le temps, à ne pas savoir quoi faire du temps qui nous reste, à être dépassé par le temps, mais maintenant, ce temps fuit tellement vite qu’on n’a plus le temps. Et bien soyons acteurs et non esclaves, et saisissons le temps, non pas pour le dominer ni l’instrumentaliser, mais pour naviguer sur son flot, coudre de son fil et soigner avec sa durée. Ce sera long, laborieux et incertain, car il nous faudra apprendre et réapprendre en se défaisant de nos certitudes pour les soumettre à l’épreuve de la réflexion. Une réflexion qui devrait se faire en ayant fixé un cap pour une nouvelle humanité tout en traçant la voie que nous devrions suivre ensemble séparément.

 

Goodÿ – 03/09/2016

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