Lettre à ma terre

Lettre à ma terre

Le 13 septembre 2025,

 

  

Lettre à ma Terre,

Toujours nous est promis l’amélioration et, par extension, le temps pour accéder au bien-être. Une promesse pour élargir l’horizon, multiplier les accès, faciliter les usages, rendre la vie plus longue et plus douce. Elle dit : je vais vous donner plus de livres, plus de musiques, plus d’images, plus de soins, plus de réseaux. Et de fait, elle le fait. De ce fait, les mots se sont dispersés comme des semences portées par le vent, les voix ont coulé comme des rivières invisibles dans chaque foyer, les images se sont embrasées sur les écrans comme des rêves éveillés, la toile numérique a tendu ses fils planétaires, la médecine a repoussé les seuils de la mort.

Au fil du temps, la promesse se fait don. Ce don se fait espoir et cet espoir se retrouve très vite branché à un dispositif invisible qui en régule le souffle, filtre le débit, stérilise la réception et devient une offre de libertés conditionnées, où l’abondance, calibrée, est donnée comme une qualité de vie prolongée et maintenue en survie par la médiation sanitaire de molécules synthétisées pour opérer bien plus sur les conséquences que sur les causes. 

L’histoire, les études et les chiffres nous le confirment si besoin est.Bien que l’imprimerie ait libéré le texte, par la suite, elle a servi la censure pour réguler l’information. Tout comme la radio qui a porté la voix, a servi d’écho pour la propagande, y compris celle de la guerre, et se retrouve, elle aussi, au service de la censure salvatrice de l’information vraie et de nos loisirs auditifs. Le cinéma, quant à lui, a émerveillé les nuits solitaires et collectives de nombre d’individus et se retrouve aujourd’hui réduit à une usine de récits standardisés sans cesse remastérisés. L’Internet a ouvert avec fulgurance un champ sans centre, puis sont arrivés les algorithmes, miroirs-pièges-captifs de nos mémoires guidées et de nos désirs illusionnés. La pharmacopée soignante de nos plantes, transformées en pharmacie de soins palliatifs, est devenue le laboratoire de maintien sous contrôle de dérèglements chroniques ou permanents, créant des existences attachées à la liberté des dépendances.

Chaque espace devenu industrie est passé de l’émancipation promise au contrôle par le monopole de quelques-uns. Que dire de notre alimentation photon de vie, qui est aujourd’hui l’assistante impuissante de nos disfonctionnements physiologiques et plus encore.

La liste serait bien trop longue pour souligner ce que vous entrevoyez déjà dans ces quelques lignes.

Et, ne voilà-t-il pas que le dernier bastion restant de libertés, dont les droits bafoués depuis des décennies se trouvent au balbutiement du respect qui leur sont dû, se trouve engagé sur ce même chemin. La culture et la création se veulent devenir industries sous l’injonction de leurs fossoyeurs qui sont à leurs chevets pour organiser leur survie. Ils promettent la diversité, organisent la pluralité et respectent les différences en créant des canaux de diffusions tubulaires, débouchant sur des chambres de compte-gouttes. Clonages de copiés-collés et répétitions de modèles, ajustés aux subsides plus qu’aux territoires, traversent les contenus : musiques en boucles, dramaturgies recyclées, livres passés sous le filtre invisible des marchés. Un seul moule, une seule recette et un gâteau partagé colorié de mille couleurs, à l’arôme de mille saveurs.

Une liberté qui s’essouffle à suivre le programme hybride des dates économiquement viables, s’accordant à la mode-alitée du moment, de l’instant, de la saison. Mais qu’à cela ne tienne, nous avons une industrie ! Un modèle économique éprouvé, qui peut être correctement accompagné par nos impôts et taxes grâce à nos gestionnaires de trésors qui les distribuent comme on jette un saupoudrage de fertilisants sur un sol appauvri. L’engrais nourrit surtout celui qui tient les sacs dans les coulisses du marché, pas celui qui sème à mains nues dans la terre vivante. Les feuillages brillent de mille feux à l’aide et s’exhibent au de vent de la scène, mais la sève, substance, matrice profonde de sens et d’essences, se tarie. Alors mutualisons nos industries. Oui ! Organisons-nous pour accueillir ce fleuve torrentiel qui circule, qui jamais ne mouille nos rivages, pour inonder nos sols éloignés. Comblons de béton nos mangroves fertiles et protectrices pour bâtir des parkings, des commerces, des façades vitrées qui serviront de terreau pour la production culturelle et créative.

Pourtant, la culture véritable n’est pas façade, encore moins vitrée. Elle est mangrove. Elle croît dans la boue et le sel, dans l’entrelacs de racines qui protègent des marées et des cyclones. Elle abrite la vie la plus fragile, elle résiste aux vents, elle filtre et purifie. Et que faisons-nous ? Nous détruisons ce qui nous protégeait pour construire ce qui nous fragilise. Nous comblons ses racines vivantes et nourricières de la culture et de la créativité pour ériger des structures stériles, et nous appelons cela le progrès. Biens-sûr, il faut vivre avec son temps, voire préparer celui d’après nous. Mais nous confondons organisation sectorielle pour une progression de tous avec soumission aux bailleurs ; nous confondons la solution et la cause, et, de ce fait, le traitement à y apporter : bienvenue dans le monde des ICC. Bienvenue dans l’Industrie Culturelle et Créative, ce vaste dispositif où l’imaginaire est orienté plus que motivé, où le désir est le reflet de l’absence, où la diversité n’est qu’un décor et la différence un problème sociétal.

Mais moi, artiste auteur, je le dis. Je le dis du long de mes racines plantées dans les marges, entre mers et montagnes, rampant debout sur ce sol glissant, de là où j’écris ces quelques mots, de mon territoire archi-pêle du monde mort ce lai, là où les herbes folles percent le goudron, de mes toiles peintes à la lueur de mon sang, de la polyphonie, je le dis, je le redis, je le martèle :

-          Je ne serai pas un producteur pour les Monsanto de la culture.

-          Je ferai de la mangrove l’universel social.

 

  Saint-François, le 13 septembre 2025

Goodÿ (Gilles EUGENE),

Artiste auteur

 

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