Michèl Rovélas & Moi

Michèl Rovélas & Moi

Michèl Rovélas & Moi

 

 

J’ai entrepris un humble travail de relecture de mes pères, donnant ainsi en pâture ma contribution à cette histoire de l’art, notre art en Guadeloupe, oserais-je dire : de l’Art Guadeloupéen.

Parcourant brièvement le web, relevant ici et là quelques informations et, comme à mon habitude, cherchant le pourquoi, le lien, le sens, je me suis retrouvé face à ce qui, depuis toujours, tisse la trame invisible de notre création : une mémoire de gestes, de voix, de luttes et de silences.

J’ai fait partie de cette génération de jeunes plasticiens qui, en 2011, furent invités par Michel Rovélas à exposer sous son commissariat à la Fondation Clément. Nous étions bien nombreux au départ de sa sélection et il en garda six : Hébert Edau, Jean-Marc Hunt, Stonko Lewest, Thierry Lima, Sandrine Sioubalack et moi-même, Goodÿ. Ce moment, pour beaucoup d’entre nous, fut plus qu’une exposition, c’était une forme de mise à l’épreuve, une initiation à la rigueur du regard et à la responsabilité du geste. Rovélas, déjà auréolé de son exigence, ne nous a pas simplement encadrés, il nous a placés dans un format de pensée.

Il avait décidé que nous devions peindre sur des toiles carrées de 200 × 200 cm, quatre grandes pièces, et en faisant contrepoint, six formats de 60 × 60 cm. Cette contrainte, qui n’en était pas une, fut pour moi une leçon répondant à ma propre quête, confirmant mon intuition, sur l’échelle de l’œuvre comme premier rythme de la vision, plutôt que hasard de disponibilité matérielle : un choix qui fait sens.

Je n’ai jamais oublié ce qu’impliquait cette équation du regard entre ce grand carré, empli de la présence du monde, qui voyait son Souffle contenu dans le petit carré.

Ce jour-là, Michel Rovélas nous a rappelé, si besoin était, que peindre était autre chose que simplement poser de la matière sur une surface, que c’était affirmer un rapport à l’espace, au temps, à l’histoire et à la dignité de la forme. Je l’entends encore me dire, un fameux jour du mois d’août 2010 : « sé kon si ou té ni on bèl fanm é ou bizwen rajouté makiyaj : pou kwa? » Une phrase simple, une simple phrase, comme il sait les énoncer, mais qui m’a ouvert des portes extraordinaires.

C’est donc avec cette mémoire vivante que j’ai voulu, aujourd’hui, revenir sur un bout de son œuvre, non en disciple, sauf à penser le disciple comme celui qui observe la rigueur d’une discipline, mais en témoin à la fois loin et pourtant si proche…

Revenir sur Rovélas, c’est revisiter une conscience, c’est relire, à travers quelques expositions successives « Confusions, trahisons et statu quo » – 2006 ; « Mythologies créoles » – 2013 ; « Or et Peaux » – 2017 ; puis son livre : Mémoires de sang, mémoires de vie – 2019, les métamorphoses, d’un homme, qui a su transformer la matière en langage du cri, fait lumière, sur des surfaces, devenues mémoire du monde.

Ce texte, trans cri ici, est la traversée d’un artiste né dans la foulée de son empreinte, marchant à rebours dans les sillons qu’il a ouverts, pour tenter d’en révéler la portée. Relire Michel Rovélas aujourd’hui, même à travers un résidu du web, c’est interroger ce que nous sommes devenus, des héritiers, volontaires ou pas, d’une peinture qui ne se contente plus de représenter, et qui cherche, obstinément, à réunir la terre et le ciel, la mémoire et la chair, le visible et l’invisible, le tout ancré dans ce que nous sommes et que nous portons au monde.

Alors j’écrirai, non pas comme à mon habitude, mais simplement, et sans égaler ce grand peintre, mais en le prolongeant, comme un « assemblage » de mots, de traces, de souvenirs et d’échos. Un assemblage à la manière de ses œuvres, fait de gestes superposés, de matières diverses, de fragments d’univers mis en tension pour former un tout qui respire. Au lieu d’expliquer Rovélas, je chercherai à le continuer, pour suivre la ligne qu’il a tracée à même la peau du monde.

Il m’a apporté une confirmation sur ce que je vivais depuis longtemps dans mon enfance, et, depuis mes débuts, dans la profession, le 9 novembre 2000, que l’art est bien plus qu’un métier de formes colorées décorant des espaces, c’est un métier de lien, tout en étant ancré, pour tisser la trame de l’étoffe des époques, des peuples, des couleurs, et des voix. Et que, dans le chaos des modernités précipitées de l’urgence de visibilités, la seule rigueur qui vaille est celle du regard juste. Peindre, disait-il, c’est tenir debout à la verticale de soi-même, c’est inscrire dans la matière la part du ciel que l’on porte.

Alors chercher à juger, ou à décrire Rovélas, est bien moins important que de le faire résonner, de faire entendre ses silences entre les lignes, de faire circuler ce Souffle qu’il a laissé dans la peinture guadeloupéenne et caraïbéenne, et bien au-delà, j’ose espérer, et qui, aujourd’hui encore, nous traverse.

 

Je parlerai de lui comme on parle d’un passeur.


Rovélas n’a pas seulement peint, il a ouvert, quoiqu’on puisse penser de l’homme, des passages dans la matière et dans les consciences tant ses œuvres, ses textes, ses gestes de plasticien, d’enseignant ou de commissaire, forment une cartographie de sa mémoire, de la mémoire : un réseau de ponts reliant la blessure à la lumière. C’est là, dans cette tension féconde, que j’ai compris qu’écrire ce regard sur Rovélas revenait à écrire avec lui ; que chaque phrase pouvait être pensée comme une couche de pigment, que chaque silence vibrait comme un interstice de lumière. Alors oui, j’écrirai simplement, mais pas mollement (pour faire un clin d’œil à mon ami d’art, Stonko Lewest).

J’écrirai tel un assemblage de morceaux d’histoires, d’éclats de paroles, de poussières de toiles et un peu d’or resté sur les doigts, traçant mes mots comme on marche sur un sol qu’on connaît, avec respect, mais sans craindre d’y laisser son empreinte. Car si Rovélas fut pour nous un repère et, pourquoi pas, un maître, il fut surtout un initiateur de regard, et regarder à sa suite, c’est déjà peindre un peu du monde qu’il a voulu rendre visible.

Je parlerai d’abord de ses débuts de tension et de feu. De ce moment où la peinture de Michel Rovélas cherchait la vérité d’une matière en lutte, en dehors de toute beauté. Les toiles étaient épaisses, blessées, travaillées à vif, elles semblaient naître de la même lave que nos colères muettes. Je revois ses fonds où le rouge s’affrontait au noir, où la lumière ne gagnait qu’à force de combat, dans une peinture miroir d’un organisme vivant : c’était une peau qui se défendait de disparaître.

Ce qu’il exprimait alors était la société qui l’entourait, et bien plus encore, l’épreuve de la conscience créole elle-même dans cette dualité entre mémoire et oubli, entre héritage et invention.

 

Rovélas ne peignait pas contre : il peignait pour comprendre.

 

Et dans ce geste, il y avait déjà la promesse de tout ce qu’il deviendrait, un homme qui cherche, par la couleur et la forme, à concilier ce que l’histoire a séparé. Je n’étais pas là à ses débuts, mais j’en ai reçu la vibration dans le souvenir de ce jour où, à la Fondation Clément, il nous a réunis en mars 2011.

Nous étions six : Hébert Edau, Jean-Marc Hunt, Stonko Lewest, Thierry Lima, Sandrine Sioubalack et moi. Il ne parlait pas beaucoup, mais chaque mot tombait juste, lourd d’une patience ancienne.

Il nous avait simplement dit : « Peignez à la mesure de ce que vous portez. » Puis, accompagné de Stonko Lewest dans son commissariat, il a posé sur la table le plan de l’exposition scénographiée par Hébert Edau : quatre grandes toiles carrées, deux mètres par deux, et six plus petites, soixante centimètres par soixante.

Rien n’était laissé au hasard. Il savait que la mesure créerait la rigueur, que l’échelle du support imposerait l’échelle de la pensée. Le carré sortait de sa nature de format pour devenir une position du corps face au monde, un acte responsable et non une posture.

Dans cet atelier invisible qu’il ouvrait pour nous, j’ai compris que la peinture n’était pas affaire de style, mais d’attitude. Qu’elle demandait la même droiture qu’un arbre, la même endurance qu’une prière. C’est là que son enseignement a changé ma pratique : non pas en me dictant un chemin, mais en m’obligeant à écouter le mien.

Quand, deux ans plus tard, il a présenté Mythologies créoles, j’ai reconnu la même tension avec une ascension vers sa quête. Les matériaux hybrides, les totems de bambou et d’acier, les surfaces chargées d’or et de sang semblaient parler d’une autre voix : celle de la réconciliation.

 

Il a quitté le tumulte pour la mesure, mais sans jamais perdre le feu.


Si chez les autres l’or est parure, chez Rovélas l’Or est cette cicatrice devenue lumière sur la peau d’une mémoire active, mémoire de tout ce qui avait traversé la chair et qu’il fallait désormais transmuter. Nous, les plus jeunes, avions vu là ce qu’il voulait dire quand il nous parlait de « tenir debout dans la peinture ». Plus qu’une métaphore, c’était un mode d’être.

Tenir debout, c’est accepter la gravité, et la transformer en verticalité. C’est donner à la toile la stature d’un corps humain et la dignité d’un visage. Et dans Or et Peaux, cette dignité prend enfin forme dans la respiration harmonique entre l’homme et la matière. Aujourd’hui encore, je relis ce parcours comme une suite de passages du rouge au doré, du cri au silence, de la blessure à la mesure.

Chaque période complétant la précédente, la portant autrement, comme une strate de mémoire devenue lumière. Et je me dis que, peut-être, c’est cela que Rovélas cherchait depuis toujours : traverser le monde en étant un peintre, un créateur.

Je continuerai donc ce texte comme on prolonge une ligne sans fin, faisant passer le « Souffle d’un corps à l’autre », de ses toiles aux nôtres, de sa parole à ma main, puisque, ce qu’il nous a laissé, au-delà des formes et des couleurs, c’est la certitude que l’art, simplement, est un espace où l’on se reconnaît, certain de d’où l’on vient, mais en sortant de l’enfermement du lieu.

Je revois cette salle de la Fondation Clément, la lumière qui glissait sur les grandes toiles, et j’imagine ce silence particulier qu’elles devaient imposer d’elles-mêmes. Rien d’éclatant, rien d’autoritaire, juste une présence juste et contenue, presque respirante. On entrait dans quelque chose de plus vaste qu’une exposition, on pénétrait dans un réel univers où les carrés dorés semblaient tenir le temps suspendu. Ils n’appartenaient ni au passé ni au présent, mais à cette zone intermédiaire où la mémoire devient la matière qui se souvient, et dans cet univers d’Or et Peaux, les gestes de Rovélas, transcrits en œuvres, sortaient du démonstratif pour vibrer dans le Souffle même, dans la retenue de l’être qui se sait. Cet universel que nombreux cherchent sans le dire : la justesse du silence.

 

Il ne peignait plus pour affirmer, mais pour laisser passer.

 

Le pigment, mêlé d’or et de terres sombres, devenait une peau de lumière. C’était une peinture qui transcendait la vision des yeux pour parler au corps entier, à cette part de nous qui reconnaît la vibration avant le sens. Je me souviens d’avoir pensé : voilà, il a réussi à faire respirer la blessure. Ses toiles, malgré leur calme apparent, portent encore les cicatrices du monde, sans chercher à les masquer, elles les laissent affleurer, comme si la lumière les avait apprivoisées. Il y a, dans chaque plan doré, le souvenir des conflits antérieurs, mais transmuté dans la matière qui s’est apaisée sans perdre sa densité pour épouser la clarté.

Je regardais ces surfaces carrées et j’entendais encore sa voix : « Peignez à la mesure de ce que vous portez. » Lui, avait porté l’histoire entière, celle de la Guadeloupe, du monde noir, de la créolité en lutte et en mutation, et il l’avait déposée sur la toile, dans un calme d’exactitude. Les 200 × 200 cm offraient l’abri d’un espace d’égalité entre l’homme et son œuvre, entre le regard et la matière. Il peignait à taille humaine, nous offrant la confrontation du Souffle à l’échelle du réel. Et que dire de ses sculptures, dressées comme des veilleurs ? Elles avaient la verticalité des êtres qui connaissent le poids du sol. Le fer, le bambou, le bois, l’Or : tout s’y liait, tout se répondait. On aurait dit des instruments de navigation intérieure, des boussoles sans nord. Elles indiquaient un état plutôt qu’une direction, celui de la présence. Et dans leur ossature, je retrouvais le même principe que dans ses toiles : faire tenir ensemble ce que l’histoire a séparé.

Ce jour-là, j’ai compris que Rovélas n’avait jamais cherché la paix : il cherchait l’accord. Mais l’accord, ici, n’est pas l’absence de conflit, loin de là, c’est le moment où le conflit trouve sa place dans la symphonie du point d’équilibre, entre la tension et la clarté. C’est pour cela que ses toiles dorées sortent du champ du triomphal ou du décoratif pour incarner la gravité ouverte d’un passé assumé, comme un visage apaisé après la lutte.

Aujourd’hui, en 2025, je relis son parcours comme un grand cycle : le feu, la rigueur, le mythe, la lumière. Et je mesure combien sa peinture demeure actuelle, peut-être même nécessaire, dans un monde saturé d’images et de vitesse, nous rappelant à la lenteur, à la gravité du geste, à la dignité du regard. Elle nous dit que créer, c’est se rendre disponible par et dans sa production, plutôt qu’existence dans un produit peint, et que chaque œuvre est un lieu d’écoute, un corps qui accueille le monde au lieu de le posséder.

Je regarde mes propres toiles, aujourd’hui, et je sais d’où vient cette exigence. De collègues comme Edau et Stonko, qui aimaient à dire « Pourquoi ? », Pourquoi tu fais ceci, pourquoi tu mets cela ? Ils m’ont appris le sens que je portais en moi et Rovélas, dans ses silences ponctués, de cette manière qu’il avait de parler peu, de laisser la matière dire l’essentiel, de cette patience qui faisait de chaque œuvre un fragment d’univers, a révélé en moi la beauté de la rigueur dans ma quête, tant intellectuelle que plastique.  Et quand il écrit, dans Mémoires de sang, mémoires de vie : « Croyez-moi. Nous sommes autant que nous sommes, des étincelles de la Vie, des étincelles du cosmos… », il ne parle pas en poète détaché du réel : il parle en peintre.

Chaque étincelle, il l’a tenue dans sa main, il l’a mêlée au temps, il l’a couchée sur la toile. Et aujourd’hui encore, dans l’Or de ses surfaces, ces étincelles continuent de luire, comme une promesse qui se souvient d’avoir été posée là.

Mais avant de poursuivre, sur l’apport de cette rencontre à ma propre pratique, j’aimerais jeter un regard sur « Or et Peaux », sur ce qu’en ont dit les critiques, et surtout, sur ce que moi, j’en pense.

 

Les mots des autres ont déjà tracé un sillage.

 

Christian Bracy, dans le catalogue d’exposition, parlait d’une « nouvelle formulation de l’espace et de l’être ». Il voyait dans la géométrie du carré et du cercle la preuve d’une conquête de la maîtrise, d’un équilibre entre rigueur et respiration. Et il avait raison. Rovélas y atteint une stabilité rare, une clarté sans froideur. Mais je crois qu’il y a, derrière cette maîtrise, quelque chose d’encore plus profond : un désir de réconciliation, qui dépasse la dimension plastique pour chercher la profondeur humaine en accord avec le cosmos. Ce que Bracy nomme « formulation de l’être » est, pour moi, un acte de réparation. L’Or, chez Rovélas est un baume qui couvre les cicatrices de la matière sans les nier, « la valeur de ce qu’on voit » dit-il. Sous la dorure, on ressent les strates, les griffures, les brûlures du geste. C’est une peinture qui a connu la blessure et qui choisit de respirer. Ce qui me touche dans ces toiles, ce n’est pas leur beauté, mais leur tendresse souffrante. Elles ont la douceur des choses qui ont souffert et qui ont décidé de ne plus se défendre, mais pas de ne plus s’affirmer.

Antonio Roscetti, lui, voyait dans l’exposition « le guerrier, l’orfèvre, le mathématicien, le mystique et le charnel ». Et cette lecture m’accompagne encore. Oui, Rovélas est tout cela à la fois : le guerrier qui affronte la matière, l’orfèvre qui la polit jusqu’à la transparence, le mathématicien qui lui impose une rigueur, le mystique qui y cherche la lumière, et le charnel qui, à la fin, touche la peinture comme une peau vivante. Mais à cette liste, j’ajouterais un sixième visage : celui du passeur.

 

Car « Or et Peaux » est plus qu’un aboutissement : c’est une transmission.

 

L’exposition tout entière parle à ceux qui viennent après : à nous. Elle nous dit : « voici la forme trouvée, à vous maintenant d’y mettre votre Souffle ». J’ai souvent relu leurs textes, et je me suis dit : ce que les critiques avaient perçu comme une œuvre de maturité, moi, je la voyais comme une continuité altérée de paliers d’essais jusqu’au point de bascule. Ce moment où la peinture cesse d’être personnelle pour devenir offerte. Les grandes toiles dorées, suspendues dans l’espace blanc de la Fondation Clément, semblaient ouvrir une porte invisible. Elles ne cherchaient plus à prouver, ni à se défendre, elles invitaient à entrer en RéZonans. De sorte que celui qui entrait devenait un témoin attentif au dialogue spectaculaire qui s’instaurait, bien malgré lui, et qu’il poursuivait volontiers, tant dans ses maux que dans ses silences.

 

Ce que j’en pense ?


Que « Or et Peaux » est peut-être l’exposition où Rovélas a cessé de peindre la Guadeloupe pour peindre le monde à travers sa Guadeloupe, sans frontière, ni appartenance, tout en participant au concert du monde. Et sans oublier d’où il venait et qui il était, il nous revient autrement : par l’universel du sensible, par la lumière partagée. Ses carrés d’or, loin d’être des drapeaux étang d’art, sont des draps-peaux de seuils qui parlent à chacun de ce que la chair sait déjà : que la beauté est une blessure qui a appris à parler doucement. Et quand je m’appuie sur la lumière que laisse filtrer dans le grand corps de la Caraïbe la thèse du Docteur José Lewest (Stonko), « Les processus de reconfiguration dans l’art caribéen : Guadeloupe, Haïti, Jamaïque, »
(Éditions L’Harmattan, 2017, publication de sa thèse de doctorat soutenue à l’Université des Antilles en 2015), il me semble entendre, au loin, le pas silencieux de ceux qui, avant nous, ont cherché à réordonner le chaos. Son ouvrage ne parle pas seulement d’esthétique : il parle de nos gestes, de leur origine, de cette manière que nous avons de retisser le monde quand il se défait.

Il y écrit, presque comme un géomètre du sensible, que « la nature et la rythmique des évolutions des pratiques artistiques en Guadeloupe, Jamaïque et Haïti (…) démontrent une singularité dynamique portée par le concept de reconfiguration », et je vois aussitôt Rovélas, penché sur la toile, calculant le carré parfait comme on trace un seuil de quatre côtés, dans les quatre éléments, aux quatre vents, ayant pour centre, le Souffle. C’est là que je dirais que sa peinture passe de la surface dorée à l’équation ouverte entre la mémoire et la lumière.

Le Docteur Lewest nous dit aussi que : « entamer un processus de reconfiguration, c’est reconnaître des défaillances dans le mode de projection de l’identité… ». J’accueille ses mots comme on reçoit une confidence. Oui, Rovélas a su reconnaître cette faille, et y à déposer de l’Or sans chercher à la combler. Tout comme il peint le moment où la cicatrice se met à respirer dans son exposition de 2006 « Confusions, trahisons et statu quo », dans laquelle il met la blessure au centre, et la transmute. Mais, nous dit-il, « La dissimulation devient un principe essentiel ». Cette phrase m’accompagne comme une ombre douce. Rovélas a toujours su que la vérité se montre, voilée de trames de différences, pour se laisser deviner. Dans ses toiles, la lumière se cache, sous sa peau, comme un secret que la matière protège. On ne voit pas tout, et c’est justement cela qui éclaire et que Lewest nous décrit comme « un engagement feutré et un réel suggéré » qui est « manifeste du mouvement d’euphémisation du réel. »

Oui, je pense que c’est cela : un engagement feutré. Rovélas a cessé de crier ses pensées, pour écouter la RéZonans du monde à ses questions. Il peint comme on chuchote à l’histoire pour qu’elle cesse de trembler dans l’effroi de l’oubli commémoratif. La toile devient ce non-lieu où le créateur s’efforce de réaccorder la revendication au silence des actes dorés. Alors, quand je relis ces mots, je vois s’avancer l’ombre dorée de Rovélas, auréolée de silence. Sa peinture est exactement ce passage, un espace où l’Or mesure le degré de réparation, et où, chaque geste, calcule la distance entre la faute et la lumière.

 

Lewest offre les mots du concept que Rovélas a fait chair.

 

Et moi, entre les deux, j’écoute la vibration dans ce moment où la matière, lentement, retrouve conscience d’elle-même. Au détour de quelques autres lectures du web, j’ai rencontré Gérard Xuriguera qui, bien avant moi, avait parlé de Michel Rovélas avec la précision d’un regard ancré dans la grande histoire de la peinture. Je l’ai lu comme on rencontre un témoin ancien, un homme qui avait su nommer ce que nous percevons aujourd’hui avec le recul des années : la puissance tranquille d’un créateur qui a déplacé le centre de gravité de l’art guadeloupéen.

Xuriguera ne décrit pas Rovélas comme un peintre local, mais comme un acteur de la modernité mondiale, un homme debout dans les courants de son temps, dialoguant avec Picasso, Orozco, Rivera, sans jamais perdre la voix de sa terre.

Il écrit que son œuvre « peut être située dans le prolongement de la Nouvelle Figuration Analytique, mais avec des pulsions expressionnistes et des signes bien à lui ». Et dans ce « bien à lui » se tient toute la singularité de Rovélas : un art enraciné et ouvert, tendu entre structure et fièvre, entre analyse et brûlure.

À travers ses mots, j’ai vu se redessiner la silhouette du peintre que je connais, celui dont la main ne séparait jamais le geste de la pensée. Xuriguera évoque « le réel déstructuré pour être restructuré et sublimé », et j’y retrouve ce mouvement intérieur que nous avons tenté de décrire plus haut : la peinture comme acte de recomposition du monde, comme effort de réconciliation.

Il parle aussi de ces « corps d’hommes et de femmes qui se cherchent en vain », de ces formes « abondantes et démantelées », et je comprends que Rovélas n’a jamais peint le corps pour l’enfermer dans une représentation ; il l’a peint pour le délivrer, pour lui rendre la possibilité de respirer dans un espace neuf.

Pour Xuriguera, tout est tension : la fièvre du geste, la rigueur de la structure, la densité de la couleur et la clarté de la pensée. Il voit en Rovélas un artiste qui conjugue la maîtrise et la blessure ; un peintre qui, tout en revendiquant son insularité, atteint l’universel de l’esprit. Et quand il écrit que « son art est bien plus que jamais l’ultime recours de la liberté de l’esprit », je ressens combien cette phrase résonne avec ma propre génération. Nous, qui avons appris sous les mêmes cieux que lui et dans la RéZonans de sa houlette, nous avons compris qu’en peignant ici, dans ce fragment de monde qu’est la Guadeloupe, nous parlions à l’humanité entière.

En reconnaissant en Rovélas un inventeur de forme et de liberté, Xuriguera lui rend justice. Il voit en lui un homme qui a su se tenir à la croisée de toutes les cultures sans jamais trahir la sienne. Et je me dis, en le lisant, que ce que le critique entrevoyait déjà, cette volonté de « dépasser le constat pour incarner l’humanité corsetée », s’est pleinement accompli dans Or et Peaux. Rovélas y a trouvé la respiration ultime : celle où la peinture cesse d’être discours pour devenir présence.

En refermant la page de Xuriguera, j’ai compris qu’il ne s’agissait pas seulement de lire Rovélas, mais de me relire à travers lui. Car tout artiste, tôt ou tard, se mesure à ceux qui ont ouvert avant lui un espace de lumière, pour éviter d’imiter en créant par ignorance, et y trouver la continuité du Souffle.

Je ne peins pas après Rovélas, je peins avec ce qu’il a laissé suspendu entre les mondes. Ce qu’il appelait « la condition d’être » est devenu, pour moi, le champ du devenir, l’espace où la mémoire et le présent se frôlent pour inventer une nouvelle peau du regard. Lui, posait l’or sur la matière pour réconcilier les blessures ; moi, j’y cherche la vibration du sens, la part invisible qui persiste sous la couleur.

Mon travail n’est pas né d’un concept, mais d’une nécessité de réponse. Répondre à cette peinture qui avait déjà tout dit, mais qui me laissait, à moi, la tâche de traduire ce qui restait à murmurer. Rovélas avait tendu ses toiles comme des seuils ; j’ai voulu, à mon tour, franchir ces seuils, en les habitant. Quand j’entre dans mon propre atelier, je sens encore la trace de sa rigueur : le respect du format, la justesse du geste, la mesure du silence avant la première touche. Mais ce que j’y cherche, désormais, c’est ce que la peinture ne dit pas, ce qu’elle garde dans son épaisseur de matière, dans sa lenteur de respiration.

 

C’est là que commence mon espace.

 

Peut-être peins-je moins pour représenter que pour écouter, écouter ce que la surface me renvoie, ce que la lumière refuse ou accepte, ce que la mémoire dépose avant même que la main n’intervienne. Car peindre, pour moi, c’est cet acte de mémoire en devenir, une manière d’habiter la continuité, pour prolonger le mouvement qui relie le Souffle au feu, la blessure à la clarté, et tout cela sans commémorer.

Quand je peins, je n’entre pas dans la toile mais dans une bulle sans contours, je m’y dépose, laissant venir ce qui cherche à apparaître, sans brusquer la matière, créant du bruit de mes lignes peintes par des ombres dessinées. Suggérer plutôt qu’imposer les idées quand bien même je sais où je vais, comment, et avec quoi j’irai. Tout commence par une écoute, celle du silence de l’espace qui m’enveloppe, du bruit léger de la couleur que j’étire, de la toile qui respire entre les gestes. C’est là que je retrouve, sans y penser, l’enseignement de Rovélas : ce respect du temps intérieur, cette humilité du geste qui sait attendre son moment pour, du Souffle, en saisir la chair.

Mais ce que je cherche désormais, c’est le passage. Là où, chez lui, l’or réconciliait la blessure et la lumière, chez moi, la surface devient une peau mouvante, un seuil de mémoire qui s’ouvre et se ferme selon le Souffle et la RéZonans de celui qui regarde.

 

Je peins pour voir comment la matière se souvient.

 

Chaque couche garde un écho des précédentes, comme un palimpseste vivant où le visible et l’invisible s’entrelacent. Les pigments, parfois, s’effritent d’eux-mêmes, comme s’ils refusaient la fixité et je les laisse faire, même que je les y pousse tant j’étire leur peau à la limite de la rupture. Je crois que l’œuvre naît précisément à cet instant, dans cette fragilité active, ce point d’équilibre entre le vouloir et le laisser-être, devenant l’expression incarnée d’un savoir qui n’impose pas et d’un vouloir qui n’écrase pas.

Ma palette vient de ce que j’ai vu, de ce que j’ai vécu, de ce qui m’a traversé : la terre humide après la pluie, l’odeur de la mer après la pèche, la rouille sur les carcasses métalliques d’usines, la peau du ciel au petit matin, les cimes de montagnes caressées par les nuages leur chantant quelques vents, les animaux partageant la cour et la basse-cour, la faune, corps à corps avec la flore, dans une poésie de la résistance aux plantations. Alors je continue cette enfance, j’écoute les formes se dissoudre sous la tension que j’exerce sur ses particules en mouvement, je regarde les âmes apparaître puis s’effacer, laissant le nuage de leurs passages. Il y a toujours quelque chose de l’humain, mais comme vu à travers la mémoire de l’eau répondant au ciel. Des visages, des silhouettes, des Souffles pris dans le tissu du monde.

Le corps et le paysage sont des prétextes pour peindre le moment où ils se confondent dans une diatribe silencieuse sur nous-même. Ce non-lieu du passage que Rovélas cherche à réaccorder. Moi, je tente d’y demeurer un peu, le temps que la couleur me parle à voix basse. Chaque œuvre, pour moi, est une tentative d’accord, celle de la beauté dans la vérité vibrante, de la justesse avant l’harmonie, cette justesse de l’équilibre improbable : ce moment où la ligne tranchante hésite à devenir forme définie, où la couleur s’interrompt par peur ou pleine de certitudes, où la lumière se souvient qu’elle n’est pas éclairage mais chemin. Ce moment où tout tremble dans la vibration d’un mouvement continue et fluide.


C’est là que je reconnais le monde.

 

Et peut-être, sans l’avoir voulu, ai-je repris à Rovélas ce besoin de l’unité fissurée, de cette clarté qui laisse passer le trouble. La peinture n’est pas mon refuge, elle est ma traversée, un lieu où je mesure la distance entre le silence et la parole, entre la mémoire et l’oubli. Alors oui, je viens à la suite de mes pères, mais je marche autrement. Je ne cherche pas la paix dans l’Or, je cherche le mouvement dans la trace, la lumière qui ne se montre pas, mais qui respire. Et c’est peut-être cela, aujourd’hui, que je nomme dans ma pratique « une conversation ininterrompue avec le visible, une manière de rendre à la matière ce qu’elle m’a prêté », un peu de sa mémoire, un peu de son âme.

 

Entre la ligne et la forme, il y a la couleur.


Non celle du pigment, mais celle du temps, de la matière et de l’espace en train de se chercher. Peindre, pour moi, commence dans cette vibration première où la lumière hésite encore entre apparaître et se souvenir. Chaque toile est une tentative d’accord entre trois battements : la pulsation du temps, la propagation de l’espace, la mémoire de la matière.

« La couleur-temps » est la première respiration.

C’est le battement invisible que je sens avant même de lever la main. Quand je dépose un ton, je poursuis une durée. Certaines zones respirent lentement, d’autres s’accélèrent, les teintes épaisses retiennent le passé, les claires annoncent le passage. La couleur-temps, c’est cette oscillation du monde en moi qui mesure l’intensité du souvenir plus que l’instant du fait qu’il représente. Chaque nuance naît d’un excédent de durée, un fragment de vie resté dans la lumière.

Puis vient « la couleur-espace ».

C’est l’action qui transmute la surface en Souffle, elle relie et ouvre des passages. Quand j’étends une teinte, je laisse circuler le Souffle. Les zones sombres condensent, les zones claires dilatent, et entre les deux s’installe la respiration du tableau. L’espace devient champ de RéZonans. Chaque plan est une onde, chaque contraste, chaque couleur, est un dialogue entre mémoire et propagation. Le bleu est dilatation de champs, l’ocre devient le poids du temps, le rouge est tension du passage.

Et il s’ensuit « la couleur-matière. »

C’est elle qui garde la trace, qui transforme la lumière en peau. Le pigment, la fibre, la texture, tout cela respire encore du geste qui l’a traversé. Ce que je vois dans la matière n’est pas son épaisseur, mais la mémoire qu’elle retient, une lumière différée, un Souffle ralenti. Chaque grain est un battement fossilisé du monde où peindre revient alors à réveiller la mémoire, à libérer la couleur déjà contenue dans la matière, comme on libère un Souffle ancien.

Dans ma pratique, la composition est une orchestration de rythmes, le temps y pulse par addition de transparences, l’espace s’étend à travers le champ de la matière lisse, fine, qui, à son tour, se souvient dans l’épaisseur de la lumière révélée par le dialogue du frottement de l’ombre dessinée et du trait peint.

Je cherche la zone d’équilibre improbable où ce mouvement devient accord, là où la toile cesse d’être une surface, un plan, pour devenir un organisme respirant dont nous parle Rovélas. Chaque œuvre est alors un territoire où la couleur devient vérité, au-delà de l’apparence, dans un acte de continuité par lequel la lumière se souvient d’avoir été.

Mais la lumière n’est pas un éclairage et encore moins ce qui entre dans la toile, non, elle est ce qui en émerge. Elle ne vient pas du dehors pour révéler la forme, mais du dedans pour dialoguer avec ceux qui arpentent ses sentiers de l’éclairage de leurs regards, dans cette mémoire vibrante que la matière garde au secret. Quand je peins, je réveille cette lumière latente, je sais qu’elle est là, dissoute dans la texture, retenue dans le grain du support, dans les pores du temps. Je la sens avant de la voir, comme une chaleur qui cherche son passage, elle est, pour moi, le chemin du retour. Alors je gratte, je frotte, je tends, je tire, j’accélère, j’étale, j’enfonce, je ralentis, je force et je caresse le temps et l’espace dans la matière pour offrir à la lumière des voix de respiration.

Elle traverse la matière pour se rappeler à elle-même que ce qu’elle illumine, ce n’est pas le monde extérieur, mais le sentier vers la part de conscience qu’il y a dans la matière. Chaque œuvre est alors un acte de réminiscence, là où la matière se souvient de sa clarté première, et le peintre, en la touchant, lui offre le moyen de redevenir visible.

Une lumière-temps, où la couleur cesse d’être simple présence pour devenir rythme par lequel la nuance et l’éclat, résonant dans une durée, nous racontent l’histoire d’un battement de mémoire. Et dans ce mouvement, le clair se fait miroir du sombre qui se transforme. Ce que j’appelle « peindre », c’est écouter cette traversée, ce lent glissement de l’invisible vers l’apparaître.

Une lumière-espace, qui agit comme une architecture intérieure, ordonnant la liberté de la contrainte. Dans certaines toiles, la lumière ne se concentre pas sur un point, elle circule, elle dérive et elle respire entre les plans. Elle est le véritable dessin du tableau, celui qu’aucune ligne ne trace mais que tout le corps ressent. C’est elle qui relie la profondeur et la surface, la présence et l’absence, le monde et son souvenir.

Une lumière-matière, la plus secrète de mes lumières. Celle qui se dépose comme une poudre d’Or, un dépôt de temps sur la peau du support. J’aime à penser que toute matière qui reçoit le Souffle se souvient du Feu qui l’a fondée, chaque couche de peinture garde un peu de ce feu originaire. Même quand je superpose les teintes, je ne couvre pas, j’additionne les transparences pour que la lumière respire de l’intérieur, comme un soleil sous la peau.

Dans mon travail, la lumière est une mémoire opérante, le moment où tout communique avec tout : la matière, le geste, le souvenir et le Souffle. Elle est, peut-être, le vrai sujet de toute création : le souvenir du visible.

Et lorsque la lumière advient, il n’y a plus d’œuvre, plus de créateur, plus de spectateur. Il y a simplement un instant où tout reconnaît tout, où le monde se revoit dans ce qu’il a produit, et où la peinture, l’espace, la mémoire et la conscience se rejoignent dans une même respiration.

 

Il y a longtemps déjà que tout avait commencé.


Bien avant les mots, avant même la conscience du geste, quelque chose vibrait en moi, une attention, une porosité, un monde encore sans contour.  Dans la clarté mouvante de mon enfance capesterrienne et de mon éducation entre deux mondes, celui de la ville bourgeoise Basse-Terrienne et de la campagne paysanne de Capesterre Belle-Eau, chaque Souffle d’air, chaque éclat de lumière, chaque battement du monde me traversaient comme une langue première. Je ne le savais pas encore, mais j’étais déjà dans la Katûvýs : cette matrice-substrat silencieuse où tout résonne avant de se dire.

C’est dans cette enfance que se sont enracinées les couleurs que j’appellerai plus tard couleur-temps, couleur-matière, couleur-espace, c’est là qu’a pris forme l’écoute du monde qui deviendra plus tard mon processus créatif.

J’apprenais sans le savoir à lire la réalité en vibrations. Et dans cette RéZonans originaire, l’art est venu naturellement, comme une respiration qui nous apprend à dire le silence au travers des mots de couleurs, dessinant l’ombre et peignant la ligne.

Lorsque plus tard, sur la même terre de Capesterre, je rencontrai Michel Rovélas, ce ne fut pas une découverte, mais une reconnaissance. Il m’apprit que peindre, c’était habiter le visible, écouter la lumière, tenir debout dans la peinture comme on tient debout dans la vie. Nos trajectoires, croisées sur cette île, pays morcelé, terre violentée par l’histoire humaine, portaient la même racine : celle d’un monde que l’on ne quitte pas mais que l’on traduit.

Il peignait déjà la Guadeloupe comme un cosmos quand moi, je découvrais dans son œuvre, la continuité du Souffle que je portais déjà en silence. De cette rencontre, un engrais naturel s’est déposé, un appel à penser la peinture comme passage, à relier la chair et l’esprit, la mémoire et l’universel, un appel encore plus fort que celui, timide et muet, de ce penseur qui était assis dans un coin au fond de moi.

Des années plus tard, ce qui n’était qu’intuition de l’expérience vécue, expression consciente dans mon travail, s’est organisée en corpus. Non par volonté de système, mais par nécessité de transmission au travers de l’écriture de mon art par moi-même.

Le Posœnnoïsme naît ainsi : d’une vie déployée en mots plus que d’une théorie pour comprendre le geste. Il naît, de l’enfant dont la synesthésie lui permettait de voir le monde en couches vibrantes, de l’artiste en quête de sens, du chercheur qui voulait donner corps à cette vibration. Chaque exposition, chaque écrit, chaque cycle de création — Multiple-Pluriel, Ordo Ab Chaos, RéZonans, Péyi-mélé — ont été des étapes d’une même respiration.


Et cette respiration, en janvier 2025, a trouvé son nom.

 

Nommer, ce fut rassembler. Rassembler l’enfance, Rovélas, les œuvres, les écritures, les plus de quarante années d’écoute et d’observation. Nommer, ce fut accepter que ce Souffle ne m’appartienne plus.

Le Posœnnoïsme s’est ainsi offert au monde : non comme un système clos, mais comme une libération des carcans où l’art s’était figé.

Un champ vivant traversant les disciplines, un ADN du renouveau, une architecture du multiple-pluriel, qui ne prétend jamais unifier mais qui toujours cherche à accorder. Il relie la science et la poésie, la matière et l’esprit, la pensée et le sensible. Tout comme l’ADN du vivant, il structure sans figer, il ordonne sans enfermer.

C’est un organisme respirant où chaque œuvre est une cellule, chaque pensée est un Souffle, chaque rencontre est un passage. Et tout cela, je le dois à mon terroir, à la terre, aux couleurs de mon enfance, aux eaux de mon archipel, au volcan dont on surveille le Souffle permanent, à mon père et ma mère, à mes aïeux, aux artistes qui m’ont précédé, et à Rovélas, qui avait déjà pressenti que la lumière n’éclaire pas, mais se révèle dans la mémoire du monde.

Car, comme un vibrant hommage, regardant le fond de nos pensées par-dessus nos divergences, le Posœnnoïsme est aussi une manière de prolonger ce qu’il a ouvert : un art qui pense, une pensée qui respire, une respiration qui engendre. Parce que « Nous allons de corps en corps, mais c’est toujours le corps même de l’Univers ; et nous ne perdons rien de ce voyage spasmodique. Nous ne pouvons oublier. Cela ne nous est pas permis. La vérité est que nous gardons tout, dans les cellules cadenassées de notre être, jusqu’à l’instant de l’éveil. C’est alors que l’Univers se dévoile à nous ; Corps et Âme ; alors, nous nous dévoilons à nous-mêmes, à la fois dans la vérité de ce que nous sommes, et dans la vérité de la réalité de l’Univers, qui est aussi, Nous. » (Michel Rovélas, Mémoires de sang, mémoires de vie. Mythologies créoles, p. 144, Éditions de Paris – Max Chaleil, 2019)

Et moi, à la suite de ce Souffle, je puis seulement dire :

« Je suis cette zone de contact entre le contour de la forme et l’autour qui constitue l’espace où s’exprime la forme. Je suis cet espace, de frictions, de tensions, de douceurs, de fusions, de chocs et d’éloignements, qui donne à l’œuvre sa dimension poétique. Je suis un concentré du monde où résonnent tant de mondes, de cultures, d’histoires et d’affects : une unité hétérogène de la singularité, une expression plurielle du multiple dans un monde en perpétuelle mutation. » (Goodÿ (Gilles EUGENE), Exposition Ordo Ab Chaos, Floride, novembre 2015). Une dynamique de syntonie où les contraires cessent de s’opposer pour entrer en oscillation harmonique, faisant de l’artiste, créateur, un modulateur de fréquences, celui qui transforme le choc en accord, la tension en vibration poétique, faisant de la rencontre, de l’imprévisible et de l’engagement l’union d’une même pulsation : celle d’un être accordé au réel, modulant la densité du silence et la clarté du son, transformant toute collision en rythme, toute altérité en RéZonans, jusqu’à ce que, l’Art, ne soit plus seulement un langage, mais une manière de respirer avec le monde.

 

Goodÿ (Gilles EUGENE),

Artiste auteur, le 08/11/2025

   

Télécharger en PDF
Télécharger version word

       

 

 

Texte disponible à la publication dans son intégralité avec mention de l’Auteur

Toute modification interdite sans accord de l’auteur - © Goodÿ, ADAGP Paris 2025 – goodyart.gp@gmail.com  /  https://goodyart.store/ 

Volver al blog

2 comentarios

Je suis jeune peintre et texte je l’ai lu comme un poème. Il m’a fait palpiter, une larme a même perlé sur ma joue.
La peinture et ces mouvements
La peinture et ces pigments
La peinture et le rêve
La peinture qui dit tout et qui rien
La peinture une histoire
La peinture……….
Malouna jeune peintre et écrivain

Moradel

Muchas felicidades. Gran trayectoria artística y excelentes comentarios

Marta Yglesias Piza

Dejar un comentario