« La peinture est un art, et l’art dans son ensemble n’est pas une création sans but qui s’écoule dans le vide. C’est une puissance dont le but doit être de développer et d’améliorer l’âme humaine ». Wassily Kandinsky
L’artiste est-il au service de la décoration de l’espace et des lieux ?
Tu ne peux pas empêcher un individu de penser l'œuvre d’art comme bon lui semble, tu ne peux tout au plus que « l’éduquer » à la manière dont toi, tu la perçois. Et, avec un peu de temps et de chance, à force de travail, tu arriveras sans doute à emmener quelques-uns à ouvrir leur regard sur un esprit critique qui pourra interroger leurs propres intériorités sensorielles pour ouvrir ainsi une porte vers les possibles. Parce qu'il s’agit bien là de « voir » les possibles et non de définir l’œuvre.
Pour avoir eu plusieurs fois l’occasion de refuser de servir comme « décoration » à des évènements, je pense qu’il y a amalgame entre le sens de l’œuvre, sa valeur (en dehors de la question financière), et nos interprétations. Souvent, on conçoit comme une vérité ce qui n’est qu’une interprétation personnelle soumise à un vécu qui l’est tout autant. S'entendre dire « ça va bien avec la couleur de mon canapé » n'est pas facile, mais il faut trouver les mots pour élever le débat et parfois la personne s'en offusque. C’est en emmenant le regardeur à « voir » les possibles que l'on peut faire évoluer l’œuvre, de sa beauté relative vers sa valeur réflexive. Plus l’œuvre sera pensée par le regardeur, moins il la regardera comme une décoration et plus il la considérera comme un « Objet » pouvant être un vecteur de pensées, d'analyses et de réflexions. Ceci présuppose que l'on entende la notion de décoration dans sa valeur de beau sans autre objet que de créer du beau à voir.
Pour répondre de manière objective à cette question de l’artiste au service de la décoration, il faudrait considérer la place de l’œuvre dans les espaces qu’elle occupe, et par conséquent de l’objet d’art dans le lieu.
La valeur de l’œuvre en tant qu'objet, dans le champ de son utilisation comme décoration, ne dépend pas réellement de l’artiste « au service de ». L'artiste, même s’il n'est pas « au service de », rien n’empêche son art une fois vendue d'être « aux services de » celui qui en a usage. Quand bien même la loi par le biais des droits d’auteurs et droits connexes permettrait un certain regard sur cet usage. Cela reviendrait à ne plus peindre et à surveiller l'usufruit fait de son œuvre. Un cercle vicieux qui n'a point de vertu tant que les parties ne se respectent pas...
L'artiste se doit d'être au service de son art et ne peut être au service de rien, mais ceci n’engage que moi. Son œuvre peut servir à bien des choses dont il ne pourra pas toujours garder le contrôle.
En réalité, ce n'est pas l'artiste qui est « au service de » mais l'œuvre une fois sortie du champ de contrôle de l'artiste. Il est fort regrettable de devoir admettre que peu de moyens sont mis en œuvre pour garantir l’application des lois qui garantissent l’intégrité de la valeur de la création. Toutefois, nombre d'artistes sont « au service de » pour des raisons évidentes de sécurité de tout ordre et pas que financière. De sorte qu’il devient difficile aux autres artistes de faire respecter la valeur de leurs créations, vu que souvent ces artistes « au service de » sont aussi institutionnalisés. Étant donné la responsabilité indéniable de l’artiste dans la réception de son œuvre par sa volonté de montrer, de diffuser et de vendre son œuvre, et dans la mesure que tout objet influe sur le cadre de vie, il doit concevoir et prendre la mesure du pouvoir de l’œuvre d’art pour rendre le meilleur service qu'il peut, au monde qui reçoit son œuvre. C’est dans cette interaction que vit l’œuvre et, il me semble que sa place dans le lieu dépend de la pertinence, voire de l’impertinence de son auteur, à promouvoir sa pensée, sa vision, son esthétique, sa philosophie et son intention. L’artiste se doit aujourd’hui de prendre sa place dans la diffusion de son œuvre. Il doit s’approprier les espaces que lui procurent les outils médiatiques d’aujourd’hui, même créer ceux de demain qui serviront à établir la réception de son œuvre par le public dans l’extension du temps qui lui survivra : par l’Histoire.
À mon sens, l'artiste se doit d’être au service de l’art dans sa dimension d’élévation des individus.
Goodÿ – mai 2020