RéZonans 2/4 - « Couleurs-espaces »

RéZonans 2/4 - « Couleurs-espaces »

Les couleurs sont la vie et je les dessine sur la toile tendue pour emmener tout un chacun à s’interroger à son tour sur la vie, sur sa vie.
Goodÿ - Gilles EUGENE

 

Au fil du temps, les couleurs et moi sommes devenues des complices. Il n’est plus question de questionner leur essence en tant que « matières », ni en tant que « temps ». J’ai trouvé en ces essences, de multiples existences que l'on appelle communément une œuvre d’art, un tableau peint sur toile.

L’œuvre qui nait, devient l’existence matérielle, dans le monde humain, de notre relation remplie de concessions et d’amour.

Aujourd’hui, j’interroge les couleurs non pas issues des contenants, mais celles issues de notre existence commune et qui a donné vie à cette œuvre, ce tableau qui est censé me survivre. (Cette notion devrait faire de nouveau l’objet de débats, car nous pensons les choses que nous créons souvent comme nos enfants à qui nous prêtons vie par la magie de la procréation et de la naissance…)

Je disais donc que j’interroge les couleurs nées de notre existence commune.

Ces couleurs deviennent une existence autre à laquelle précède une essence tout aussi singulière. Les couleurs deviennent à ce moment-là des espaces : une surface, des lignes, un ensemble contenu sur le plan, je reste encore dans mon registre qui est la peinture sur toile, dans ma pratique, ces « couleurs-espaces » sont donc des tableaux, des œuvres. Quelle que soit la disposition d’une œuvre picturale dans le lieu, qu’elle soit vue ou pas, elle est ce qu’elle est : une somme de couleurs, même unique, même réduite à sa plus simple expression de ligne sur un support plan. Une surface inerte dont la dynamique vitale qui la projette dans le monde humain, son existence, ne dépend que de la volonté d’un autre qu’elle-même. Si l’œuvre existe et vit par le regard qu’on porte sur elle, c’est-à-dire sur ses couleurs en particulier, il n’en est pas moins qu’elle a une essence même enfermée à l’abri des regards (l’existence étant définie ici et depuis le début, par le devenir, l’expression, la nature de, et l’essence par ce qui est en dehors de toute considération). Même si nous pouvions en débattre, je resterais sur ces bornes pour continuer le débat et simplifier mes pensées, je ne parle pas non plus de qui précède qui...

Cet espace que sont les couleurs et que j’interroge dans l’œuvre réalisée, est une fiction révélant une partie de mes visions du monde, de mes analyses et de mes pensées en dehors de mes problèmes personnels ( je ne traduis quasiment jamais dans mes œuvres mes états d’âme, mon vécu, mon histoire, mes accidents, mais ce qui est inscrit me concerne, car je fais partie de ce monde décrit). J’interroge ce monde dont je fais partie en utilisant des prétextes qu’on appelle « sujets », une architecture qu’on appelle « composition ». Tout ceci n’est pour moi, que des mots, limitant encore une fois les couleurs dans des schémas qui nous rassurent.

Les couleurs sont espaces, à mon sens. Ces espaces sont tout aussi multiples que peut l’être à la fois l’existence des couleurs matières que la résonance en chacun de ceux qui en reçoivent les vibrations. À cet instant de ma pratique, je dessine la couleur : j’utilise directement les « couleurs-matières » en utilisant leurs temps.

Je subis leur existence en les confrontant au dialogue, en les invitant au débat, en convoquant leurs vibrations, leurs rapports. Les couleurs dessinent les surfaces et vice versa, délimitent des zones, rentrent en confrontation, créent des histoires et donnent vie à des lignes. Ces lignes que nous appelons des « tracés » ou « graphisme » ou encore « lignes de force », ne sont dans ma pratique qu’existence des couleurs et résonance en chacun qui regarde. Je ne dessine pas le sujet pour ensuite le peindre et effacer les traits de construction pendant la création. Je peins le sujet par étapes colorées, je crée par additions de transparences. Les couleurs de chaque étape sont utiles et construisent ensemble cette œuvre, ces « couleurs-espaces» que sont les œuvres terminées.

J’impose ma volonté aux « couleurs-matières » et aux « couleurs-temps », en les contenant dans une histoire. À un point tel que je suis obligé de créer plusieurs «couleurs espaces » en même temps, afin de contenir le multiple, l’essouffler, le dompter. Au fil du temps, j’ai appris à contenir l’essence de notre relation dans un ensemble de « couleurs-espaces » que j’appelle « une collection », cette collection est elle-même multiple, puisque composée de « séries », le tout dans un temps relatif de 5 ans. Chaque nouveau projet de relation avec les couleurs, par l’intermédiaire d’un thème, est une contrainte que je m’impose afin de suivre le fil directeur de mon histoire, de mon plan d’œuvre : « Regard sur l’évolution du monde » (d’où le tréma sur le « y» de mon nom de créateur de couleurs-espaces. D’ailleurs, l’ensemble de ce nom est dédié à cette relation amusante, étrange, difficile, contraignante, mais fort agréable en soi, It’s Good ! for me… donc peut-être pour vous aussi). Ma pratique des couleurs est une vie. Plus qu’un cheminement, c’est une naissance qui a aujourd’hui 23 ans dans son existence et 48 dans son essence (mon âge). Je rajouterai à ceci près que dans mon état de conscience, cette essence qui est ma relation intérieure aux couleurs, associée à mes pensées, a quant à elle, une quarantaine d’années, c'est-à-dire depuis l'âge de 6 ans.

Je vous explique cela en résumé très succinct ici, parce que pour comprendre les couleurs dans ma pratique artistique, il faut savoir que depuis l’âge de 5–6 ans, je vois tout en couleurs, les mots, les sons, les jours, etc. À un certain moment, j’étais tellement sensible à mon environnement, non pas par empathie mais par vibration sensorielle, que cela en est devenu dérangeant. J’entends, je vois, je sens et ressens quasiment tout en couleurs. Et plus je pense couleurs, plus je deviens sensible à tout cela. Je ne rentrerai pas ici dans les détails de ces perceptions car ce n’est pas un format de débat pour cela, mais je vous dirai que pendant un certain temps, j’ai coupé la transmission, éteint la lumière, fermé la porte et jeté la clef dans un ravin nommé « la norme » ; devenir un bon élève, suivre un cursus scolaire, avoir un travail et tout le corollaire. Mais rien n’arrête la vibration des couleurs, et encore moins celle des couleurs-espaces. Car si les couleurs sont espaces, elles sont aussi « espace vital ».

Ces « couleurs-espaces » qui sont données en partage, deviennent les espaces des autres un instant, et celui d’un autre en particulier quand ce dernier en conserve un ou plusieurs dans son environnement direct. Et ainsi, ces espaces contribuent à la relation entre l’individu et lui-même de manière individuelle ou collective (quand les œuvres sont partagées dans un espace collectif). Mais, dans tous les cas, l’existence des « couleurs-espaces » sont des histoires personnelles qui ne peuvent devenir collectives que dans l’échange, le partage de soi et le respect de nos différences, voire de nos divergences. Et c’est dans cette dimension collective, que nous tentons de cerner, voire de définir l’harmonie des couleurs.

 

Goodÿ - Gilles EUGENE, Artiste auteur. Extrait de la réunion/ débat sur l'harmonie des couleurs, thème du CFC à l'occasion des journées internationales de la couleur.

Retour au blog

Laisser un commentaire