J’ai appris que quand bien même la vibration d’une couleur donnée est la même, sa résonance en chacun est différente. J’ai donc cherché, dans les couleurs, la vérité. Et je l’ai trouvée.
Goodÿ - Gilles EUGENE (mai 2022)
En dehors de la matière, de la texture, les couleurs sont aussi temps avec plusieurs niveaux de temps dans mon approche. Les «couleurs-temps » sont d’abord une des résultantes de l’usage des « couleurs-matières ». En effet, ces couleurs ont aussi chacune leur temps de séchage, leur élasticité, leur propre transparence. À épaisseur égale et à texture égale, il me faut plus de temps pour étirer une couche de bleu foncé qu’une couche de blanc, comme aussi, il me faut une force différente pour le faire. Ceci, je ne l’ai jamais mesuré, mais je le sens, je le vis dans le toucher et mes muscles. Ce niveau de « couleurs-temps », le séchage, est aussi une question de vibration, de longueur d’ondes et de lumière. Mais tout ceci, je n’ai jamais pris le temps de le mesurer autrement que par mes sens, par vibration, par résonance. De ce temps, j’ai appris la vitesse. Une vitesse d’exécution, puisque travaillant avec des peintures en base aqueuse et que tout est déjà construit dans mon intériorité… Aujourd’hui l’essence des couleurs se confond à l’essence de mes pensées, je suis en résonance permanente avec les couleurs dont je dispose. Je sais ce que j’ai dans l’atelier et si, dans l’essence des œuvres qui sont en moi, il manque des couleurs dans l’atelier, je ne fais pas cette œuvre. Cependant, cette résonance me permet de créer des expressions picturales spontanées qui font résonance à un instant donné et ce, quelles que soient les couleurs dont je dispose : il s’agit des performances. En effet, à ces moments de pure improvisation, l’ambiance crée en moi une dynamique et cette dynamique rentre en résonance immédiate avec ce dont je dispose parce que je sais ce dont je dispose. Je m’impose même des défis en décidant parfois de travailler avec un nombre limité de couleurs. J’ai appris de ces instants à obtenir un « dire » des couleurs, quelles que soient les couleurs disponibles, en relation avec un sujet (car l’ambiance devient le sujet). Ces moments sont très importants dans ma pratique, car ils m’ont appris à obtenir ce que je voulais des « couleurs-temps », de leur donner l’existence qui me sied. Nous avons appris à nous respecter dans nos libertés et nos contraintes.
La couleur est temps car elle doit aussi résister à la vie. Par son existence sous forme d’œuvre picturale sur cette toile tendue, elle est soumise aux aléas. Je ne peux maitriser le devenir de l’œuvre une fois vendue. Comment sera-t-elle exposée à la lumière, au vent, au soleil ? Je ne peux le maitriser. Mais, je peux contrôler jusqu’à un certain point, la tenue de cette couleur dans le temps. Cette tenue dans le temps est aussi une des expressions des « couleurs-matières ». Les couleurs, qui subissent les aléas visibles et les altérations par les éléments, sont donc aussi un temps d’existence. Tout comme nous naissons, et que nous mourons.
Toutefois, il est dit que l’œuvre nous survivra, oui, mais comment ?
Les « couleurs-temps » nécessitent alors restauration, entretien, préservation, attention, prudence et protection. L’expérience et la science nous dictent quels types de couleurs utiliser, mais quand j’étale la couleur en étirant ses molécules à la limite de l’éclatement, je change aussi son temps...
J’ai appris du temps des couleurs, en les exposant à des contraintes naturelles et techniques. J’ai disposé les couleurs sur des bouts de toile à peindre, les laissant trainer au soleil, sous la pluie, trainer sur le sol en terre de l’atelier de mes débuts. J’ai disposé d’autres expériences de couleurs sur des toiles à peindre, dans le four préchauffé à différentes températures, différents temps. Avec différentes textures, différentes épaisseurs et différents temps de séchage entre les couches. J’étais allé jusqu’à noter sur un carnet chaque détail de ces expériences… ( Carnet que je n’ai jamais utilisé et dont j’ai d’ailleurs perdu toute trace), tout simplement parce que j’étais en résonance avec les couleurs. J’ai mémorisé jusqu’aux sensations de mes mouvements en relation avec les couleurs.
Les couleurs sont aussi le temps de l’histoire. Le temps de ce que je raconte, de ce que je dis, que je donne à ressentir au-delà de la couleur visible. Je cherche en permanence ce je ne sais quoi qui fera vibrer l’intériorité du regardeur. Il est convenu que chacun voit ce qu’il veut. Mais, pour ma part, je pense avec une autre subtilité que chacun voit ce qu’il peut. Nous l’avons dit au début, nos sens sont éduqués. Nous décrivons nos ressentis par des mots qui ont une résonance avec ce que nous avons acquis comme connaissances au fil du temps.
Les couleurs m’ont appris tant de choses sur le temps. Mais une des choses que je vais vous dire ici, c’est que chaque couleur vibre en nous à mesure que nous lui accordons du temps. Surtout dans des œuvres dites abstraites ou dites de figuration contemporaine.
Dans ma pratique, les couleurs deviennent aujourd’hui des outils pour révéler au regardeur ce qu’il a en son intérieur. Quand je suis avec quelqu’un qui regarde une toile, j’aime l’emmener à aller au-delà de ce qu’il décrit avec des mots du genre « on dirait ceci ou cela », « je vois ceci ou cela ». Je dis souvent ceci : « je suis certain d’avoir mis ce que vous voyez, mais je suis persuadé que vous ne voyez pas tout ce que j’y ai mis ». Et, à chaque description que fait la personne, je l’emmène à me parler du ressenti qu’il a derrière cette description. J’ai appris avec les couleurs temps que souvent nous parlons de la même chose en la décrivant chacun avec nos mots, et souvent nous pensons parler d’autre chose que l’autre alors que nous parlons de la même chose. J’ai appris que quand bien même la vibration d’une couleur donnée est la même, sa résonance en chacun est différente. J’ai donc cherché dans les couleurs, la vérité. Et je l’ai trouvée.
Je parle bien de la vérité et non des perceptions que l'on en a. Car les interprétations que nous faisons des couleurs ne changent en rien la surface colorée. Nous aurions beau la changer de sens et la disposer dans tous les plans possibles, cela ne changera rien à l’essence de l’œuvre née de ces couleurs, mais uniquement à son existence dans le monde, par relation avec son environnement dont nous faisons partie. Les couleurs sont temps dans le temps, ce temps, mot invariable, mais qui s’écrit avec un s… les couleurs sont temps, mais pas que... les couleurs sont aussi espaces : « Couleurs-espaces » ...
Goodÿ - Gilles EUGENE, Artiste auteur. Extrait de la réunion/ débat sur l'harmonie des couleurs, thème du CFC à l'occasion des journées internationales de la couleur, le 21 mai 2022